LE PARCOURS D'UNE PIERRE FATALE AU CIEL DE TUNIS !
Une
autoroute! Un pont. 21h30. La circulation est fluide et la nuit est
bien noire. Soudain une explosion violente ! Une pierre jetée
du pont fracasse mon pare-brise allemand à deux kilomètres
à peine de l'aéroport Tunis-Carthage!
Pourquoi ce
vandalisme? Warum?
L’incroyable, c'est que
presque tous les ponts de nos autoroutes tunisiennes sont déjà
protégés par un grillage "anti-jet de pierres ».
Ces ponts de l’aéroport sont-ils donc
oubliés?
L'incroyable, c'est que je ne roulais (à la
sortie d'un long lundi de travail) qu'à 70 Km/h ...car à
une vitesse double, l'impact de la pierre aurait était
fatal... et la FIN garantie. Je repense à cet ingénieur
qui partait un soir sur Hammamet, il y a quinze déjà,
et de cette grosse pierre furieuse qui tua son épouse sur le
champ. Une Américaine anéantie en quelques secondes par
un criminel jet de pierre.
Le lendemain. Il est 21H30. Dans un
kiosque à essence sur l'autoroute! Comme je le fais depuis 20
ans déjà, je me sers tout seul et remplis mon essence,
sans faire appel aux préposés endormis ou
nonchalants...
Soudain, s'arrête une petite voiture
italienne bleue…
Une jeune dame de 32 ans environ, en sobre
pantalon bleu et beau chignon châtain, quitte sa voiture et se
sert toute seule à la colonne d'essence jouxtant la
mienne...
Je m'avance vers elle et lui:
- Madame Bravo!
La
dame aux sobres pantalon et chignon me toise et me demande:
-
Pourquoi Bravo?
- Mais Madame, c'est la première fois en 20
ans que je vois une dame quitter sa voiture pour se servir seule, de
nuit de surcroît, plutôt que se faire servir...
Joli
sourire timide et silence discret !
Madame... vous n'êtes ni
étudiante, ni prof, ni avocate, ni karateka..
- Madame, je
pense que vous êtes Flic ou... Colonel!!!
-Euuuuh ! Colonel
NON, mais Commissaire de police Monsieur!
Au fait, c'est quoi ce
truc noir au coeur de votre pare-brise?
Je lui raconte mon
histoire d'hier soir.......
-Je vous conseille vivement d'aller de
suite vers l'aéroport, près de l'Opat et de contacter
le poste de police de cette région qui prendra votre plainte
et enverra de suite une brigade sur les lieux.
Lettre au
Ministre et dépôt de plainte
Il est 21h36, au kiosque
à essence, sur l’autoroute Hammamet-Tunis !
Je
remercie la si charmante commissaire aux yeux verts et langoureux et
prends la route de l'aéroport.
A l'Opat, un gardien accepte
de me guider au commissariat de police, si je le ramenais ensuite à
son poste de travail ...
Après 10 longues minutes, on
trouve enfin le discret poste de police caché dans l'aérogare
de fret ...
Un policier pointe, enfin, pour nous dire
d'aller voir la Police du Lac...
Fatigué d'une longue
journée à problèmes, je renonce à ma
plainte !
Je reviendrai peut-être demain matin!
Je
reviens vers ce sacré « Pont aux pierres volantes »
au niveau de Cuisine-Machin-Ou-Delta, à la Charguia... et
constate qu’il n'est hélas, pas protégé de
grillages anti-pierres!
Ah! Si Madame le commissaire de police est
sur Internet elle aura tout le résumé de cette histoire
sur Astrolabe …Mes respects Madame La Commissaire !
J’ai
finalement déposé une plainte officielle, le lendemain,
auprès de la Police de la gare de Fret. Un accueil chaleureux,
compréhensif et même motivé!
Et partiront
enfin de mon petit bureau :
- Une lettre au Ministre de
l’intérieur avec copie au :
- Ministre de
l'équipement
- Préfet ou Gouverneur de Tunis
-
Délégué ou Sous-préfet de Tunis
-
Maire de Tunis
Double doléance et un seul titre : «
protection du citoyen »
1re doléance :
Les 3
ponts au niveau de la Charguia, en allant vers l'aéroport, par
l'autoroute ne sont finalement pas protégés.
N'importe
quel petit voyou, peut facilement jeter du pont, une pierre fatale
sur les voitures qui roulent...
Dresser, comme sur le reste de
l'autoroute vers Hammamet par exemple: des « barrières
en grillage de 2 m de haut » pour freiner certaines pulsions
criminelles et voyous !
2e doléance :
Afin de
protéger la vie du Citoyen-conducteur et lui éviter de
terminer sa journée dans du béton-sur-autoroute.
Depuis
la Z4 jusqu'à El Menzah, l'autoroute s'est vue installée
en son centre, sur une dizaine de kilomètres, de gros blocs de
béton gris, posés sur une chaussée grise, dans
des nuits noires, sans lumière aucune.
Aucune indication
sur ces blocs meurtriers au coeur de la chaussée.
Ni lignes
blanches, ni réflecteurs, ni jaune fluo ni vert pistache.
Nada.
Attendre la fin des travaux pour baliser l'autoroute?
NON!
Cela dure déjà depuis an ou plus encore.
Merci,
Monsieur le Ministre de faire suivre à qui de droit pour
protéger nos ponts et baliser nos autoroutes!
Avec ma
déférence et ma gratitude.
Course au
Pare-brise
Reste maintenant l’aventure des
pare-brises…qui commence…à El Mourouj au "Rustre
sur avenue" et se termine à Ezzouhour où règne
"l'Australien du coin"!
Tout un voyage à
l'horizon!
Après toutes ces pérégrinations
policières et administratives, il est temps d’attaquer
la phase technique et de trouver l’homme qui parle à
l’oreille des chevaux, l’homme qui répare un
pare-brise et vous évite d’en acheter un neuf à
1700 dinars…
L’avenue de France de Ben Arous,
tout comme l'avenue de Carthage de Tunis seraient les rois de la
chose. Les Assurances seraient les rois de l’arnaque, car un
pare-brise n’est remboursé que si on a identité
du « fauteur » dont l’assurance payera la
facture…me racontera mon assurance ! Une Pierre-Ovni ne rentre
dans aucun remboursement : débris de verre…disent-elles.
Bref,
je récolte finalement trois adresses : deux grands artistes,
l’un à Nabeul et l’autre à la Cité
Ezzouhour et…un 3e tout proche à la cité El
Mourouj.
Le réparateur d’El Mourouj est nouveau papa,
depuis dix jours, et n’ouvre son atelier que sur rendez-vous
téléphonique ! Rendez-vous est pris pour le lendemain à
15h15 !
Je téléphone donc, le lendemain, 15 minutes
avant le rendez pour m’assurer de tout et le sieur m’assure
de sa présence.
A dix minutes de mon officine, je
découvre facilement, l’atelier fermé du «
Rustre sur Avenue » arborant en grosse peinture rouge ses deux
téléphones cellulaires 98 et 22….
Pas
l’ombre de l’ombre du reflet de ce technicien si convoité
!
Je prends mon mal en patience, parque mon allemande bleue face à
son atelier et m’amuse à faire et refaire une marche
rapide en contre allée d’autoroute sur une piste de 500
m environ !
Au bout de 45 minutes de rage-course-ras-le-bol un
sifflement strident me surprend au dos!
C’est le rustre qui
appelle son client…
Je fais bonne mine contre mauvaise
fortune et vais le rejoindre pour ouvrir la portière de ma
voiture et lui présenter les dégâts de la
pierre-ovni, reçue sur l’autoroute menant à
l’aéroport Tunis-Carthage…
Monsieur est fâché
et me dit :
-Pourquoi vous n’êtes pas souriant ?
-
Mais c’est tout ce que vous avez à me dire monsieur ?
Vous ne pensez même pas à vous excuser d’avoir 47
minutes de retard, malgré un téléphone de
confirmation ?
-Quoi ? Vous présenter des excuses ? «
ma tefrach biha » « je ne vous ferai pas ce cadeau »
! Je suis en retard, point final et c’est ainsi ! A prendre ou
à laisser !!
J’ai passé cinq longues
minutes à essayer d’exposer l’idée que dans
la vie sociale et professionnelle, il est de bon temps, non pas de
présenter des excuses, mon Général, mais au
moins des regrets courtois.
Peine perdue !
Je renonce à
confier ma voiture à ce « Mal-appris-Goujat-d’Autoroute
» et rebrousse chemin en me souvenant hélas de moult
semblables mésaventures auprès de collaborateurs de
tous poils qui du mot regret ou désolé veulent ignorer
toute syllabe. Où se cachent donc leurs parents-éducateurs
?
Je rebrousse chemin …J’allais dire « la queue
entre les jambes et la tête basse » et quitte ce
malheureux réparateur-du-dimanche à El Mourouj
.
Chokry Very Fast
Le lendemain matin, je m’aventure
vers la Cité Ezzouhour face à l’office de
l’huile.
Oh ! Miraculu ! Miraculus !
Me voici
trimballé entre New York et Sydney chez «Chokry
Very-Fast ». La réparation ne durera que 30 minutes mais
l’entretien sera des plus savoureux. Un voyage dans l’espace
et dans le temps ! Je vous y invite.
Chokry avait 18 ans.
Soudeur, il travaillait un jour sur deux et vivotait ainsi tout en
rêvant de son origine turque et de sa lointaine ville de Nabeul
qu’il avait quittée pour chercher du travail à
Tunis.
Le destin façonne souvent nos vies et Bouddha y
veille jalousement !
Un soir, invité chez sa jeune tante,
fausse blonde, il fait la connaissance d’un autre invité,
un monsieur filiforme de 35 ans, vivant en Australie.
Le monde
bascule, l’espoir émerge et le rêve flotte dans
cette courette modeste et conviviale de la jeune tante surnommée
déjà « Sésame ouvre- toi ».
La
nuit de Chokry fut torride à double titre. Non, ce n’était
pas d’Adriana Karambeu dont il rêva sensuellement. Mais,
le « torride » fut pour lui une canicule de 40°C dans
une pièce mal aérée et la « folle envie »
d’aller lui aussi en Australie. La Torride envie de l’escapade
!
Mais que peut faire un jeune ouvrier au chômage un jour
sur deux, désargenté et vivant de surcroît dans
un modeste univers de 6m2 à peine ?
Un an passa. Un an
de torture. Une année d’espoir. Un an de préparatifs
tout azimut pour quitter ses 6m2, son bled, sa famille et sa
Tunisie.
Il réussit enfin à acheter un billet
d’avion Tunis/ New York et à se procurer facilement un
visa pour l’Oncle Sam !
La Torride envie de l’escapade
!
Cette première escale vers l’aventure, vers
l’Australie rêvée, dura 8 ans. La destinée
en a voulut ainsi. Il trouva à New York, un job chez un
carrossier, puis un second dans un grand garage de voitures de
location et devint « Mister Chokri », l’homme qui
trouve la voiture adéquate au bon client. Il était si
rapide qu’il acquit facilement le surnom de Speedy-Chokri ou
Chokry-very-fast.
Un jour, à la fin d’une soirée
royalement arrosée, il décida de tout balancer et
d’aller acheter illico presto un billet d’avion pour
Sydney, en Australie.
Son permis de résidence américain
lui octroya facilement un visa pour l’Eldorado du Pacifique
Sud, son île souhaitée et convoitée depuis plus
de 10 ans.
Il est midi. Les yeux écarquillés, le nez
au vent et l’oreille aux aguets, il scrute cette foule bigarrée
qu’il découvre à l’aéroport de
Sydney. Le Speedy Chokry trouvera en quelques heures, en plein centre
ville, un petit hôtel à 20 dollars la nuit.
Il se
pince une fois. Il se pince deux fois. Il se pince trois fois. Il
expire et il respire. Il ne fera pas le signe de la croix et il
n’appellera ni Moïse ni Mahomet pour l’aider. Il
croit en sa bonne étoile. Il respire profondément,
lentement. Il entre en apnée et ouvre langoureusement son
vieux portefeuille de cuir noir. Une feuille jaunie, un talisman d’un
autre siècle, fait son apparition comme surgit de la lampe
d’Aladin. : Un nom et un téléphone. Son contact,
l’ami de sa tante. Il saute sur un téléphone, le
cœur battant la chamade et le visage blafard. Le téléphone,
hélas sonnera trois fois et fera comme le facteur ne repassera
pas.
Têtu, obstiné et courageux, il recompose le
numéro de téléphone
Une heure plus tard, des
embrassades et de bonnes bières australiennes qui
s’entrechoquent à la santé des retrouvés.
L’hôte était si bouleversé par son
invité-surprise qu’il le prit en charge et lui trouva un
boulot le lendemain même dans le garage du coin.
Une
année d’errance et d’aventure entre Melbourne,
Perth et Sydney. Une année d’une richesse sans pareille,
une année de voyage et de Vavangue.
Une nuit, un rêve
basculera sa vie. Sa maman serait très fatiguée et
souhaiterait revoir, encore une fois, le fils prodigue, exilé
au Pacifique Sud.
Un mois plus tard, le voilà déjà
nouveau marié et installé dans un petit garage de 30 m2
à la Cité Ezzouhour de Tunis, qui portera le nom de «
Chokry-very-fast ». Un label de qualité ! Un «
made in Germany » local !
Son idée de génie
est de réparer les pare-brises des voitures accidentées,
avec une méthode américaine simple et rigoureuse. Le
tout est de venir chez Chokry le lendemain d’un accident avant
que les fissures n’envahissent tout l’espace visuel du
conducteur.
Après une heure passée chez Chokry
Very-fast, je rentre avec un pare-brise neuf et surtout riche d’un
nouveau voyage parsemé, non pas de pierres assassines sur
autoroute, mais d’histoires et d’aventures au bout du
monde.
Voilà qu’une simple pierre dévastatrice
me fit découvrir avec joie et plaisir un insolite sentier
parsemé de doux cailloux bleus du Petit Poucet!
Merci
Madame la Commissaire de m’avoir encouragé à
porter plainte et à entreprendre ce voyage magique !
Rached Trimèche